mardi 9 août 2011

Fichage des allocataires : l'UMP recycle de vieilles propositions (article du Monde du 09/08/2011)

Après le "cancer de l'assistanat" dénoncé au printemps par Laurent Wauquiez, puis le rapport de Dominique Tian, fin juin, sur la fraude aux prélévements sociaux, l'UMP repart à l'offensive contre les fraudes sociales. Au risque de se répéter, voire de faire passer  pour neuves des mesures déjà en place.

C'est le chef de file du collectif "Droite populaire", le ministre des transports Thierry Mariani, qui a pris la tête de cette nouvelle charge. Il propose, dans le Journal du Dimanche du 7 août, "la création d'un fichier généralisé des allocataires qui recense toutes les prestations sociales perçues", une idée à laquelle le ministre du travail, Xavier Bertrand, a semblé accorder son soutien, annonçant un "fichier unique des allocataires sociaux avant la fin de l'année". L'initiative a déclenché un tollé de la gauche et d'une partie du centre. Le patron du parti radical de gauche, Jean-Michel Baylet, critique un "mauvais coups aux Français les plus modestes", Martine Aubry dénonce une "insupportable manœuvre accusatoire" à l'encontre des "plus faibles" alors que "les fraudes aux cotisations patronales, qui coûtent quatre à cinq fois plus que les prestations sociales indues, ne sont pas inquiétées". Hervé Morin, patron du nouveau centre, juge pour sa part que "ficher les plus pauvres à des fins électoralistes ne saurait être une réponse à la détresse de millions de personnes honnêtes". Pourtant, à y regarder de plus près, l'annonce de M. Mariani tient essentiellement de la politique. Voire, visait à créer une polémique sur ce sujet auquel l'électorat de droite populaire est traditionnellement très sensible, alors même que l'annonce de ce "fichier unique" est tout sauf une nouveauté.

UN FICHIER INSTITUÉ DEPUIS 2006

Car il n'y a strictement rien de nouveau dans les annonces de MM. Mariani et Bertrand. Comme l'annonçait lundi 8 août le site actuchômage.org, le fichier, baptisé Répertoire National Commun de la Protection Sociale (RNCPS) a été créé par une loi du 21 décembre... 2006.A la veille de la présidentielle 2007, il s'agissait déjà d'adresser des signes à l'électorat traditionnel de la majorité, sensible à cette question des fraudes sociales. A l'époque, le même Xavier Bertrand, alors ministre de la santé du gouvernement Villepin, annonçait dans Le Parisien la mise en place d'un "comité national de lutte contre la fraude en matière de Sécurité sociale", chargé notamment de permettre aux différents acteurs de la protection sociale "d'échanger leurs informations et de croiser leurs fichiers".L'amendement de décembre 2006 instaurant le RNCPS a donc autorisé la création de ce fichier, mais sa mise en oeuvre pratique, elle, n'a cessé d'être retardée. Ce qui n'a pas empêché la majorité de multiplier les annonces sur le thème des fraudes sociales et des fichiers.En attendant le lancement du RNCPS, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) a ainsi mis en place en 2008, sous l'égide du ministre du budget, Eric Woerth, un "répertoire national des bénéficiaires" pour signaler les doubles affiliations. Ce répertoire était présenté par le pouvoir comme un "prélude". Le gouvernement crée par ailleurs, en 2008, une "Délégation nationale à la lutte contre la fraude", parallèle au comité national créé deux ans auparavant.

INITIATIVES TOUS AZIMUTS CONTRE LA FRAUDE

Mais maglré ces initiatives tous azimuts pour une lutte anti-fraude érigée en priorité nationale,  le fameux RNCPS se fait toujours attendre, notamment car la commission nationale informatique et libertés (Cnil) réclame des garanties quant à son utilisation. De fait, il faut patienter jusqu'en 2009 pour que paraisse enfin le décret gouvernemental permettant sa mise en œuvre.  Mais celle-ci n'est pas immédiate.Fin 2010, le ministre du budget François Baroin lance une nouvelle initiative de lutte contre la fraude, et promet notamment que "dix nouveaux croisements de fichiers seront réalisés, dans le respect de la loi informatique et libertés : recherche des logements fictifs, des fraudes au chômage..."En mars 2011, dans un entretien au Figaro, Xavier Bertrand évoque une nouvelle fois ce répertoire, promettant qu'il sera "opérationnel d'ici à la fin de l'année". En attendant, le gouvernement lance en avril un plan de lutte contre la fraude aux prestations sociales, qui ont augmenté selon lui de 25 % en 2009. Parmi les mesures, la mise en place de comités départementaux de lutte contre la fraude (Codaf)En juin, le député UMP et membre de la droite populaire Dominique Tian remet un nouveau rapport sur la question des fraudes sociales, en proposant notamment de créer un "FBI de la lutte contre la fraude", qu'il chiffre, sans toujours justifier sa méthodologie, à 20 milliards d'euros. Le collectif "Droite populaire" consacre d'ailleurs un colloque à la question des fraudes sociales le 15 juin. Il est intitulé "hold-up sur la solidarité nationale". Le même mois, l'UMP propose, parmi ses 41 propositions sur la "justice sociale", la création d'un "fichier national des fraudeurs sociaux". Le parti assure même : "actuellement aucune base de données nationale ne recense l'identité des fraudeurs". 

UNE QUESTION DE PRIORITÉS

L'activité intense menée contre les fraudes sociales est aussi question de priorités. Selon le rapport 2011 de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, celle qui touche les prestations sociales concernait en 2009 "674 millions d'euros (entre 540 millions d'euros et 808 millions d'euros), soit 1,13 % des prestations versées". Tandis que la fraude aux cotisations sociales, qui concerne, elle, les employeurs, représente "dans le cadre du travail dissimulé entre 15,5 et 18,7 milliards d'euros, ce qui représente 6 à 7,5 % des 251 milliards d'euros de cotisations sociales contrôlables versées en 2009". En 2010, l'Urssaf a récupéré 1,237 milliard d'euros à la faveur de contrôles auprès des entreprises, dont 185 millions sur le travail dissimulé. Sur les 58 380 personnes contrôlées par l'organisme, 63,1% ont fait l'objet d'un redressement.

Samuel Laurent

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire