lundi 12 décembre 2011

Non au Merkozysme oui au patriotisme industriel

extrait de Marianne n° 764 du 10 au 16 décembre 2011

Propos recueillis par Gérald Andrieu
Accusé de germanophobie par la droite, le député de Saône-et-Loire se défend et plaide pour une relocalisation industrielle et un désendettement au service de la reconstruction du pays.

Marianne : Lorsque vous avez accusé Angela Merkel de mener une « politique à la Bismarck », vous avez été qualifié de « germanophobe » par la droite. Ce qui démontre, de la part de l’UMP, une certaine méconnaissance du personnage – la comparaison n’a d’ailleurs suscité aucune réaction négative en Allemagne. Mais, vous-même, le connaissez-vous vraiment ? Otto von Bismarck était autoritaire et antisocialiste, mais il a posé les jalons de la retraite par répartition et même instauré un protectionnisme salvateur pour son pays.


Arnaud Montebourg : Cette expression n’est pas une position. Il s’agissait d’une citation du patron des socialistes allemands, Sigmar Gabriel. En vérité, le débat ne blesse personne là-bas. Il gêne en France parce que la droite veut éviter le débat sur l’alternative à la politique Sarkozy-Merkel – le « Merkozysme » – et à la multiplication des plans d’austérité, cette potion amère que les conservateurs allemands veulent imposer à tout le reste du continent, au risque de suicider économiquement la zone euro. Bismarck, pour faire l’unité allemande à imposé ses solutions à ses voisins européens . C’est ce que fait Mme Merkel : elle a tellement de problèmes intérieurs que, pour les faire oublier, elle impose ses vues de façon nationaliste aux autres Etats de l’Union.
Ne craignez-vous pas d’être accusé de faire preuve d’un patriotisme économique échevelé, voire d’un nationalisme « à la Bismarck », en encourageant aujourd’hui François Hollande à mettre l’accent, à juste titre, sur le « produire français » ?

Il ne faut pas confondre le patriotisme, qui est l’amour de la patrie, et le nationalisme, qui est la haine des autres, disait Jaurès. Notre choix, avec François Hollande, qui développe une campagne de patriotisme industriel, est de relocaliser en France des activités qui sont parties en Chine, de retrouver une industrie productive, de reconquérir les savoir-faire qui ont été abandonnés dans la mondialisation et de tracer un chemin vers un retour à la prospérité. Notre pays est en train de décliner dangereusement. Mais nous ne pourrons pas rapatrier les productions, lutter contre le dumping, s’opposer aux atteintes environnementales et sociales, sans nous organiser au niveau européen. François Hollande lui-même répète qu’il n’est pas pour une Europe offerte. Ouverte oui, mais pas offerte. Le protectionnisme que je propose est le même que celui pratiqué par toutes les grandes nations industrielles. L’Inde vient de suspendre toutes les implantations de grandes surfaces commerciales du type Walmart ou Carrefour sur son territoire. L’Europe doit aussi s’organiser pour se préserver et défendre ses intérêts.
La difficulté d’imposer un label « fabriqué en France » ne réside-t-elle pas dans le fait que la plupart des produits sont aujourd’hui le résultat d’un assemblage international ?

Vous avez raison. On le voit en Allemagne où le Made in Germany s’est transformé en Made by Germany en utilisant la sous-traitance des ex-pays de l’Est. Notre objectif est évidemment d’inventer les produits de demain, les technologies nouvelles liées notamment à la révolution écologique, et non pas de les acheter aux autres. La démondialisation, c’est produire là où l’on consomme. La tablette tactile française Qooq dont la production a été rapatriée dans ma région est bien la preuve que l’on peut produire moins cher qu’en Chine avec des coûts de travail plus élevés et une meilleure créativité.
La droite elle-même avance sur ces sujets. Lors de sa dernière convention, l’UMP a dit vouloir mettre en place une « taxe réciprocité » aux frontières de l’Europe ressemblant au « juste échange » porté par le PS.

Sauf que la droite est au pouvoir depuis dix ans. Elle a fait la mondialisation et l’aggrave. Elle m’a attaqué violemment et de façon grossière sur mon projet de démondialisation. Elle n’a donc aucune crédibilité à vouloir se racheter sur le terrain du protectionnisme.
François Bayrou, lui, n’est pas au pouvoir. Il utilise le « Produire et instruire ». Il en appelle à la mise en place d’un « label France » et voit même dans le fait d’acheter Français une « démarche civique ». Votre proximité est éclatante. Au point de pouvoir gouverner avec lui ?

La réindustrialisation est une grande cause nationale qui, heureusement, transcende les partis politiques. Je ne peux que m’en réjouir. Maintenant, François Bayrou doit faire preuve de clarté. On n’a jamais réussi à percer son mystère. Il faudrait qu’il clarifie ses positions par rapport à la gauche. Mais, dans l’œuvre de redressement national, il n’y a aucune raison de ne pas reconnaître que François Bayrou a raison sur le terrain de l’industrie. Est-ce que cela suffit à gouverner ensemble ? Je ne crois pas. La droite dit qu’il appartient à sa famille politique. Lui-même dit qu’il voudrait mettre dans un même gouvernement François Hollande et Alain Juppé. Il y a du contorsionnisme et de l’obscurité dans ce langage. C’est à lui de faire ses choix et je crois qu’il n’a jamais su bien les faire.
Vous-même, vous avez fait un choix après le premier tour de la primaire, celui de François Hollande. Vous écoute-t-il un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout ?

Je lui ai apporté mon soutien, dans l’esprit de rassemblement de la primaire. Son désir et sa volonté de réindustrialiser le pays, de remobiliser la société tout entière autour de l’objectif de la création de richesses, sont un acte politique lourd, et je suis heureux qu’il ait entendu ce que je lui disais pendant la campagne et ce que je lui dis depuis qu’il est notre candidat.
Mais il maintient son objectif de ramener le déficit à 3% du PIB, et il a même annoncé un plan de 50 milliards d’euros de redressement budgétaire supplémentaires…

Lors de ma campagne, j’ai défendu un « pacte de désendettement ». Nous avons besoin d’assainir les comptes pour pouvoir faire des projets pour le pays. Nous avons besoin d’argent pour réindustrialiser, reconstruire les services publics, retrouver une agriculture performante, redresser cette France qui est écroulée, ruinée financièrement. Le désendettement n’est pas un objectif en soi, c’est un moyen de realiser ces projets. Je trouve normal qu’un candidat à la Présidence de la République fasse ce choix. La question est de savoir qui paiera ce désendettement ? Pour moi, il est impossible que ce soit les classes moyennes et populaires qui n’ont aucune responsabilité dans la crise. Ce sera au système financier, au système bancaire, de payer et non pas aux gens qui n’ont que leur travail pour vivre.
En n’apparaissant pas dans l’organigramme de campagne de François Hollande, en lui apportant votre soutien seulement par éclipses, ne passez-vous pas à côté du rôle important que vous avait pourtant conféré votre score à la primaire ?

Je ne peux pas vous laisser dire qu’il y aurait des « éclipses » dans mon soutien qui est total. Je n’ai tout simplement pas souhaité être dans l’organigramme parce que je ne suis pas un collaborateur du candidat. je suis un partenaire, exigeant mais loyal, un pilier politique de sa campagne.