jeudi 2 juin 2011

Primaires PS : Montebourg, un peu d'air frais ? (Philippe Cohen - Marianne | Jeudi 28 Avril 2011)

Arnaud Montebourg consulte et rallie des intellectuels, rassemble ses réseaux et s'arme sur le Net en vue de la bataille des primaires socialistes qui débutera le 16 juillet. Il mise sur la radicalité et la singularité de son projet face à deux candidats mainstream, François Hollande et DSK, que peu de choses différencieront en dehors des performances respectives de leurs régimes amaigrissants.


Pour la fusée Montebourg, le compte à rebours a commencé. Jour après jour, le député de la Saône et Loire peaufine son dispositif pour les primaires socialistes qui démarreront le 16 juillet pour s'achever par les scrutins des 9 et 16 octobre.

Arnaud Montebourg n'a pas beaucoup d'illusions sur un Parti socialiste qui, muet sur la mondialisation depuis des années, a offert tout un électorat populaire sur un plateau d'argent à Marine Le Pen. « Si la gauche ne gagne pas en 2012, le PS éclatera. », lance-t-il, songeur mais on ne sent pas que cette hypothèse le ravit. Le PS vu de sa fenêtre ? Une machine à broyer l'innovation et le renouveau des idées. Une machine qui tend irrésistiblement à couper du peuple l'électorat du PS, quitte à le rétrécir toujours davantage. « Aux lecteurs du Monde ? » plaisante-t-il avec un sourire doux-amer. Une machine qui a failli le tuer lui-même lorsqu'il a tenté de faire des compromis, avec Ségolène Royal puis avec Martine Aubry. Il en a récolté une image de jeune politicien tacticien prompt aux compromis utiles à sa carrière.

Un malentendu, explique-t-il aujourd'hui. Après avoir rassemblé la gauche du non au TCE (48% au référendum interne de 2004 tout de même), il a été abandonné par ses alliés (Vincent Peillon notamment) au Congrès du Mans de 2005, ce qui a abouti à la dilution de son courant NPS (Nouveau parti socialiste), les statuts ne lui permettant plus de disposer des parrainages suffisants pour maintenir son courant. Il a cru bon ensuite de bâtir une alliance avec Ségolène Royal, qui a ensuite piétiné ses deux exigences - la lutte contre la mondialisation et la VI° République -. Montebourg insiste sur le fait que sa ligne n'a pas varié, comme s'il tenait absolument à démontrer une constance et une pugnacité qu'il n'a pas toujours su manifester dans le passé.

Mais comme tout challenger - c'est bien la moindre des choses - Arnaud Montebourg croit aujourd'hui en ses chances. Son premier atout est d'être le seul candidat de rupture à gauche. Partisan de la démondialisation et d'un « protectionnisme vert », son credo lui parait aujourd'hui en effet le seul opposable à gauche à celui de Marine Le Pen. Il pense incarner le seul programme d'alternative au sein d'une gauche dont l'image est de plus en plus gestionnaire, en décalage avec des classes populaires et moyennes affolées par la mondialisation.

Le vote utile va s'imposer à gauche

La synthèse entre l'écologie et le protectionnisme, qu'il a explicitée sur 300 pages dans son livre Des idées et des rêves (1), était plutôt inattendue. On aime bien Gramsci et son hégémonie culturelle du côté de chez Montebourg et le contexte sert ladite synthèse : la désindustrialisation de la France sera l'un des thèmes forts de la campagne 2012; et, adoubé par les enjeux de l'écologie, le protectionnisme gagne plus facilement une vraie légitimité parmi les intellectuels et les classes moyennes. Quand au peuple français, chacun sait que, dès qu'on lui pose la question, il se prononce à une écrasante majorité pour la protection, toutes les études en témoignent. Mais le peuple votera-t-il aux primaires ?

Une chose est sûre : sur ce terrain, le positionnement de Montebourg est singulier et son directeur de cabinet, Gaël Brustier, un ancien du Mouvement des citoyens, auteur de livres salués dans ces colonnes (2), se réjouit de voir la bonne humeur s'installer entre jeunes chevènementistes et ex-militants du pôle écologique du PS qui s'apprêtent à animer la campagne des primaires.

Qui d'autre en effet ? Jean-Luc Mélenchon ne mord pas sur l'électorat populaire, du moins selon les sondages. Son allié communiste aussi discret que pesant, le contraint à ne pas trop s'écarter d'une ligne politiquement correcte, façon « Good bye Lénine » de la social-démocratie. Il ne parlera ni de sécurité ni d'immigration sauf pour défendre les sans-papiers, et on a vu qu'il était passablement gêné aux entournures sur l'euro. En outre, que deviendront les candidatures écolo et Front de Gauche lorsque la gauche tétanisée par le risque d'une élimination au premier tour, sonnera le tocsin de la lutte anti-Le Pen ?

En réalité, selon les calculs d'Arnaud Montebourg, les primaires socialistes seront le seul vrai débat de  l'élection présidentielle. Nous vivrons ensuite une campagne à trois forces centrifuges - UMP, PS, FN - qui lamineront tout le champ politique. Plus encore qu'en 2007 où l'on sentait bien l'affaiblissement du Front national, le vote utile s'imposera à gauche. D'ailleurs, des primaires ouvertes à toute la gauche définiraient, en pointillés, selon lui, les contours d'un grand parti de gauche.

La gauche du PS, - Henri Emmanuelli et Benoît Hamon - est encalminée par son alliance avec Martine Aubry, laquelle est pieds et poings liés avec DSK. Pour le staff de Montebourg, l'affaire est pliée : la première secrétaire du PS ne pourra pas rompre le pacte dit de Marrakech, car son maintien contre DSK ferait le jeu de François Hollande, en divisant par deux l'actuelle majorité. En confirmant son ralliement, le maire de Lille gagnerait son ticket pour Matignon en cas de victoire de DSK, alors qu'elle perdrait sa majorité au PS en ferraillant avec l'homme du FMI.

Enfin, Ségolène Royal, bien qu'elle affirme encore l'inverse, ne sera pas, selon Montebourg, candidate jusqu'au bout. Mieux vaudra pour elle pactiser avec Strauss-Kahn en évitant de mesurer son poids électoral déclinant au sein de la gauche. Attentifs aux « quali », ces études donnant la parole aux futurs électeurs des primaires, les montebouriens affirment en effet que la Présidente de Poitou-Charentes est décrédibilisée pour une très large majorité d'électeurs de gauche.

Une fois débarrassée « des deux filles », la route du 9 juillet serait ainsi plus ouverte qu'il n'y parait pour le député de la Saône et Loire : si la compétition ne concernait que trois candidats - DSK, Hollande et Montebourg -, ce dernier pourrait alors se déployer à l'abri des deux autres candidats. D'abord parce que les troupes dskistes attaqueront frontalement les hollandais et parmi eux nombre d'élus soucieux de ne pas se mettre en difficulté lors des prochaines échéances électorales, les seules qui comptent pour leur carrières. Ensuite parce que, sur le front des idées, Hollande n'est qu'un sous-produit du strauss-kahnisme. Peu de choses séparent en effet les deux candidats réformistes : ils sont européistes, partisans de l'orthodoxie budgétaire et libre-échangistes, même si l'un et l'autre auront la tentation de gauchir leurs discours. DSK a déjà commencé en évoquant le mot-fétiche de Montebourg, démondialisation. Quant à François Hollande, son contact avec Jean-Pierre Chevènement montre qu'il songe lui aussi à passer à gauche, un grand classique des batailles internes au PS.

Qu'importe, pour Montebourg la bataille Hollande-DSK sera illisible, « deux nègres dans un tunnel » lance-t-il. Là réside sa chance : alors que dskistes et hollandais se déchireront à coup de chantages aux postes ministériels et locaux, la charge légère de la brigade Montebourg pourrait le hisser au deuxième tour des primaires. Dès lors, tout serait possible.

Mobiliser très au delà du PS

Au fait Montebourg, combien de divisions ? Le député dispose il est vrai de moyens limités. Ses points d'appui se situent en Bourgogne bien sûr, mais aussi dans le Nord-est de la France, en Languedoc-Roussillon et en Rhône-Alpes. Il bénéficie aussi du soutien de l'ex-pôle écologique du PS de Géraud Guibert, quelques centaines de militants tout de même. Il compte bien élargir son audience durant la campagne des primaires. D'abord, toute la gauche du PS, et une bonne partie des aubrystes ralliés au Maire de Lille pour s'opposer à DSK, se sentira trahie dès lorsque Martine aura pactisé avec Dominique. Certes, Hamon et Emmanuelli plieront, mais leurs troupes se sentiront plus proches des idées de Montebourg que de celles de DSK. Deuxième atout, son fort engagement écologique - il défend un protectionnisme « vert » - peut lui faire gagner des suffrages dans cet électorat dont une partie votera aux primaires socialistes. Enfin, la fibre républicaine de Montebourg, vivifiée par des relations anciennes et maintenues avec Jean-Pierre Chevènement, peut faire du candidat Montebourg un rasoir à trois lames. Il vient d'ailleurs de s'adresser aux Radicaux de gauche, autre famille orpheline de la gauche DSK pour leur proposer de participer aux primaires.

Il y a aussi la question des moyens. La règle des primaires limite à 60 000 euros le plafond de campagne. Montebourg ne sera donc pas désavantagé. Il bénéficiera en outre du soutien de la Netscouade sur Internet, plus gros budget de sa campagne interne, l'équipe qui avait assuré le succès de Ségolène Royal avec Désirs d'avenir. Le site desideesetdesreves.fr, fonctionne déjà depuis novembre 2010. Montebourg a pris langue avec plusieurs intellectuels non conformistes, comme Hakim El Karaoui ou l'économiste Jean-Luc Gréau, qui a été longuement interviewé sur le site. Emmanuel Todd, qu'il a rencontré plusieurs fois, va préfacer un petit ouvrage « agitatif » une sorte de manifeste vendu 2 €  : Voter pour la démondialisation (3). Montebourg y prendra position assez clairement pour une politique plus offensive à l'égard de l'Allemagne, assez hétérodoxe par rapport aux violons socialistes sur le couple franco-allemand. Enfin, Aquilino Morel, l'ancien conseiller de Lionel Jospin, devrait devenir l'un de ses porte parole, tandis que Benoït Thieulin, le patron de la Nestcouade, fait partie du staff rapproché du candidat.

Un électorat flou

La campagne des primaires socialistes conserve cependant une inconnue de taille : c'est la seule élection dont on ne connait pas le périmètre électoral puisqu'il suffira de pas grand chose pour voter. Et le résultat ne sera pas le même selon que le corps électoral sera de 500 000, un ou quatre millions de personnes. En s'investissant dans l'organisation des primaires, Montebourg a voulu torpiller - en l'ouvrant - un système qui écrase selon lui les idées au profit des batailles d'appareil.
 
L'incertitude du scrutin repose donc en grande partie sur son caractère inédit. Mais comment prôner la rupture avec le système tout en restant dans le cadre unitaire puisque chaque compétiteur devra s'engager derrière le vainqueur ? Comment crédibiliser un combat pour la démondialisation tout en acceptant de rallier ensuite celui qui restera, pour longtemps encore, l'ex-patron du FMI ? Pour réveiller un électorat de gauche anesthésié par toutes les raclées électorales et sociales subies depuis 2002, il faut sans doute taper fort. Arnaud Montebourg, le moins médiatique des candidats, peut-il y parvenir dans une campagne en forme de sprint de moins de deux mois (si on compte la trêve estivale) ? On le souhaite, ne serait-ce que par aversion pour un duel Hollande-DSK qui se jouerait davantage sur le tour de taille et le maintien médiatique que sur les idées. Montebourg, un peu d'air frais comme disait Orwell ?

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