Etat des lieux : la richesse confisquée, le travail abîmé
Le système économique a perdu la tête et s’est retourné contre les gens. Pendant les presque 14 années de ma vie politique, j’ai vu la condition ouvrière changer, le travail dans les usines se durcir, le productivisme devenir cruel pour les êtres humains et leurs corps, avec des cadences augmentées, la réduction des pauses, la modération salariale, la cruelle absence de solidarité entre les ouvriers. Le prix payé par les employés à la profitabilité de leurs entreprises est devenu souvent intenable dans la vie quotidienne des usines. Finalement, ouvriers, cadres, syndicalistes, même directeurs d'usines, élus locaux, parlementaires, peu importe, nous sommes tous devenus les otages enchaînés de ce système qui n'a plus le sens de l'être humain, de la modération et de l'équilibre.
Quand la richesse est confisquée, et que le travail est dégradé, c’est toute la France qui paie le prix fort. Cette France du prix fort, c’est celle dont le pouvoir d’achat s’amenuise, celle qui travaille dur et qui peine à vivre, celle à qui on ne propose pas de travailler plus, sinon pour gagner autant. Cette France du prix fort, c’est celle des ouvrières des usines de l'agroalimentaire, qui contractent des maladies professionnelles sous la pression des cadences. Elles ne sont d'ailleurs pas seules. Désormais, le travail souvent payé au lance pierres rend malade. Aux troubles musculo-squelettiques des ouvrières répond le stress des cadres, les vagues de suicides dans certaines grandes entreprises. Cette France du prix fort, c'est celle du labeur et du courage – sur les chaînes des usines, aux caisses des supermarchés, sur les plateformes téléphoniques – qui se voit refuser le partage du fruit de ses efforts.
Bienvenue dans le capitalisme coopératif
Le moment est venu d’imaginer à grande échelle, à partir de notre préférence pour l’humain, une nouvelle organisation économique, aux fondements, règles et buts différents : le capitalisme coopératif. Une entreprise coopérative est un assemblage efficace de capitalistes et de travailleurs poursuivant des buts économiques, sociaux et éducatifs communs, par le moyen d'une entreprise dont le fonctionnement est démocratique et la propriété collective. Les capitalistes y sont travailleurs et non rentiers ou financiers, et les travailleurs y sont capitalistes, car ils capitalisent le fruit de leur travail.
Un modèle viable
Ce capitalisme n’est pas un idéal lointain et idyllique de doux rêveurs qui ne connaitraient rien à l’économie moderne. Qui sait qu’aujourd’hui 2 246 000 salariés français sont concernés par ce modèle alternatif ? Prenons des exemples. Le monde coopératif agricole français pèse aujourd'hui 80 milliards d’euros et emploie 150 000 salariés (Candia, Douce France, Prince de Bretagne ou Savéol sont des coopératives). Mais le monde coopératif n’est pas qu’agricole. Le groupe Chèque Déjeuner, groupe international au demeurant, est un modèle du genre. 9,1% de nos entreprises sont coopératives, soit plus de 215 000 établissements auxquels il faut ajouter 182 000 associations, 23 900 coopératives (hors agriculture), 7180 mutuelles. Le modèle coopératif est une manière de répondre à nos maux.
- C’est un secteur créateur d’emplois : entre 2006 et 2007 le taux de croissance de l’emploi dans le monde coopératif a été de 4,7% contre des taux de croissance des emplois de 3,8% dans le privé et 1% dans le public.
- C’est un modèle discret mais présent dans nos vies : 60% des dépôts bancaires se font dans des banques de l’économie sociale et solidaire. 1 véhicule sur 2, comme 2 habitations sur 3 sont couverts par une mutuelle d’assurance (qui regroupent 16 millions de sociétaires). 38 millions de personnes sont couvertes par une mutuelle de santé et de prévoyance. 90% des établissements pour personnes handicapées et 45% des maisons de retraite sont gérées sur le mode associatif.
- C’est un modèle économique favorable à l’emploi des femmes. Dans le monde coopératif, les femmes représentent 65,9% des salariés, soit beaucoup plus que dans le public et le privé.
- C’est un modèle économique favorable à l’emploi des seniors. Dans le monde coopératif, les seniors représentent 26,5% des salariés contre 21% dans le privé.
De l’économie du poing fermé à l’économie de la main tendue
Le capitalisme coopératif est celui qui associe des hommes et des femmes qui décident librement de leur destinée collective. C’est celui qui assure la primauté de l’homme sur le capital. C’est le moyen d’insérer de la démocratie dans l’économie, de faire renaître la société souvent étouffée par un marché brutal ou un Etat procédurier. Le capitalisme coopératif, c’est l’exact opposé de notre modèle dans lequel les travailleurs sont maltraités et les consommateurs réduits à la passivité. La forme coopérative est le moyen de redonner du sens au travail, de casser la souffrance induite par une organisation qui broie les hommes. C’est l’économie au service de l’intérêt général et de l’utilité sociale. En somme, c’est un secteur économique qui œuvre sur le marché, mais selon ses propres valeurs, qui réconcilie l’économie avec les territoires et agit donc en faveur de la relocalisation. Mais c’est surtout un modèle de justice économique puisque le partage des bénéfices y est équitable entre tous les salariés, quel que soit leur niveau, de la secrétaire au PDG. Tous sont « copropriétaires » d'une partie de l'entreprise et de sa réussite, qui sont leur bien commun.
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